Après Zapala, nous voilà à Junin, dans la province de Buenos Aires où nous assistons au premier Festival de las Mariposas : une rencontre féministe d'art scénique indépendant. Las mariposas (les papillons) sont un symbole fortement utilisé ici, le papillon rouge représentant le féminicide, le papillon violet la lutte féministe. Ce festival a pour but de valoriser et promouvoir le travail d’artistes femmes indépendantes et féministes (comédiennes, metteures en scène, musiciennes, chanteuses, circassiennes…) et des propositions artistiques et militantes créées pour l’espace public. |
Les organisatrices ont de plus choisi la ville de Junin comme lieu d’inauguration du festival du fait du conservatisme extrêmement fort de ses habitants et de la municipalité.
Le vendredi soir, le festival présente un spectacle théâtral et musical : « ensayo de senoronas ». Les voix d'Angie, Amanda et Silvia nous transportent dans un voyage à travers le répertoire musical de chanteuses et compositrices argentines méconnues. En passant par des émotions diverses, de la joie à la tristesse, le public est rapidement conquis.
Le samedi, une table ronde est organisée par l’association Acciones Feministas autour du thème : Cycle de la violence patriarcale. Les échanges animés se centrent sur le parcours du combattant des femmes souhaitant dénoncer des violences, entre culpabilisation, déni et indifférence, voire carrément confrontation à des professionnels eux-mêmes auteurs de violences. Jusqu’ici, rien de très dépaysant ! Puis nous assistons à une conférence et à la présentation du livre « Ninguna mujer nace para puta » (« Aucune femme ne naît pute ») de Sonia Sanchez. C’est un moment très fort émotionnellement où par son témoignage, Sonia nous explique en quoi l’abolition de la prostitution est essentielle. A la fin de cette conférence, les Desbandadas prennent la rue et jouent. Le soir, une pièce de théâtre « Que me tapen la espalda » du groupe Grupo Spalto Teatro est présentée. Mise en scène par Graciela Musotto, quatre actrices nous font vivre ou revivre les violences que subissent les femmes au cours de leur vie (violences dans le couple, interdiction d’avorter, contrôle de la sexualité…). Avec un jeu d’actrices impressionnant et des images symboliques fortes comme celui de l’accouchement où un long tissu rouge s’écoule lentement vers les spectateurs, la pièce nous laisse un souvenir marquant.
Le dimanche, c’est l’heure de présenter la performance collective proposée par Sabrina Califano autour du lac de Junin, avec pour but de dénoncer le féminicide en rappelant le nom des femmes victimes de ce crime. La veille, nous participons à la répétition avec les Desbandadas, qui prennent en charge la partie rythmique/musicale de la performance. Avant de répéter la performance proprement dite, Sabrina nous initie à des techniques de création d’un « corps collectif », ce qui permet de se reconnecter avec son corps et celui des autres, créer une énergie dans le groupe, qu’on soit connectées les unes aux autres sur les plans sensoriel et physique, qu’on ne fasse qu’une. On commence par se faire des massages l’une l’autre. On n’est pas du tout habituées à être touchées, à toucher, mais on est dans un tel esprit de confiance, de prendre soin les unes des autres, qu’on ressent pas du tout ces massages comme intrusifs, alors qu’on ne se connait pas toutes. Au contraire, ça génère une connexion sensorielle très difficile à décrire, mais très forte. Ensuite on marche, dans tous les sens, et chacune doit fixer un point, en mettant sa volonté dans chaque pas. Il s’agit de générer la perception chez le public d’une personne sure de soi, et d’où elle va. Après on doit marcher en se regardant. Puis on se regroupe et on a marche, en groupe serré. On a pu créer un corps collectif, soudé, avec une volonté précise. Ça fonctionne tellement bien que, pendant la performance, en plein air, face à du public, aucune de nous n’a vraiment conscience des gens autour ! On est absorbées dans ce qu’on fait, très conscientes des actions des autres performeuses, comme si on était dans une bulle. C'est un moment très fort en émotion, où le groupe de performeuses au son des percussions ne fait plus qu'un. Les noms sont criés, le violet et le noir se mêlent, les tambours résonnent, les bâtons frappent le sol puis le silence s'installe.